Propos de Fabienne Lacroix, fondatrice ExoNaiSens, recueillis par Michel Berhin
Ceux-là qui réfléchissent « out of the box »
Ne demandons pas à ces enfants atypiques de fonctionner contre nature. Conscientisons le monde scolaire à leur spécificité pour qu’ils traversent l’obligation scolaire en développant leurs compétences cognitives et construisent une estime de soi qui libère leur pouvoir créatif et innovant. C’est le travail qu’effectue Fabienne Lacroix au sein d’un service
extrascolaire spécialisé.
Voilà plus de 10 ans que des familles reçoivent du monde médical des diagnostics de troubles cognitifs décelées chez leurs enfants. Un bilan qui distribue des étiquettes -on parle souvent de troubles de l’attention, de « dys- »- mais qui laisse souvent la famille sans pistes de solution. Une situation qui affecte la socialisation des jeunes, tant dans le cadre scolaire que familial et social. C’est souvent la galère, pour le dire platement.
Un nouveau métier à créer
Criminologue et assistante sociale confrontée à ces demandes, notamment au sein d’une antenne d’écoute pour parents désemparés mise en place au sein d’une ASBL, Fabienne Lacroix, formée au coaching entame il y a maintenant 10 ans, un travail personnel de recherche, et reprend des études. Ce parcours l’amène à ouvrir, ExoNaiSens, un centre pour aider les jeunes à l’identification de la nature de leurs difficultés. Un accompagnement qui intéresse aussi aujourd’hui des adultes non diagnostiqués qui veulent comprendre leur propre mode de fonctionnement. Pour chacun, jeune ou adulte, ce qui compte, ce n’est pas l’étiquette, c’est de se comprendre et de trouver à s’insérer mieux dans la société, l’école, la famille, le monde du travail…
Derrière les appellations HP (haut potentiel avec ou sans troubles de l’attention…) ce qui est en cause, ce sont des aptitudes sociocognitives différentes : une façon de penser qualitativement différente. Ces enfants ont des compétences, et parfois très hautes, mais qu’ils ne parviennent pas toujours à utiliser à l’école. Les parents sont alors en questionnement, car ils constatent un fossé entre ce qui se passe à la maison et en classe, sans qu’au-delà de la plainte formulée (le titulaire, le CPMS), ils ne reçoivent une explication. Une explication de ce qui se passe et de ce qu’il faudrait faire pour un accompagnement et une prise en charge adéquate. Or, c’est de cela qu’ils ont besoin. En effet, le constat de leur atypisme cognitif et fonctionnel doit de suite amener à une manière de remobiliser, de remettre en projet. Souvent, ils ont vu beaucoup de monde (logopède, psychiatre, neuro-psy) qui leur a parlé des difficultés constatées, mais pas de pistes d’actions, ni d’outils de compensation pour agir mieux à l’avenir.
L’accompagnement que propose Fabienne Lacroix n’est encore nulle part reconnu et subventionné. C’est un service privé que les parents financent de leurs deniers, alors que la recherche de diagnostics leur a déjà coûté souvent bien cher en visites médicales de toute sorte. Il y a là un vrai problème de justice sociale. Et Fabienne Lacroix d’évoquer l’intérêt qu’il y aurait qu’au sein de la FWB, on crée une équipe volante spécialisée qui pourrait se rendre sur le terrain scolaire pour accompagner les jeunes et aussi former les enseignants.
Revirement inattendu du fait du Covid, Fabienne Lacroix vient d’être engagée dans un CPMS de la Communauté française en qualité d’Assistance Sociale. Dans le cadre de la mission de l’équipe renfort, sa directrice a vu dans l’embauche de ce profil une opportunité à saisir pour répondre au risque de décrochage scolaire des élèves et veiller à leur santé mentale en animant, au sein des classes, notamment des ateliers « Apprendre à apprendre » qui seront bénéfiques pour tous, jeunes et enseignants. Une occasion unique de distiller sur le terrain les avancées des neurosciences au bénéfice des apprentissages. Une proposition réaliste, concrète, pratique pour s’atteler ensemble à développer des stratégies nouvelles et pour sensibiliser à la neuroéducation. Ceux qui voudront aller plus loin pourront bénéficier d’un accompagnement scolaire individuel afin de les aider à reconquérir leur sentiment d’efficacité et leur capacité de réussite mises à mal durant cette longue période de pandémie.
Viser l’intégration, non pas l’enseignement spécialisé.
Être atypique, au fond, c’est révéler une spécificité… ce que chacun est en droit de revendiquer. L a difficulté de la société quand elle s’organise, c’est qu’elle gère des grands groupes et qu’elle travaille donc par catégorisation. Et gare à ceux qui ne sont pas alors dans le moule. Ceux qui réfléchissent « out of the box » (littéralement, « en-dehors de la boîte »). Les neuro sciences nous disent pourtant qu’il n’y a pas de moule. Et plus elles avancent dans leurs découvertes et plus la société et notamment l’école se trouvent confrontées à un paradoxe organisationnel : comment s’adapter à chacun et lui offrir les modalités d’une reconnaissance de sa spécificité, et partant de ses besoins propres, pour avancer. Or c’est vrai aussi bien sûr pour certains adultes, une fois embarqués dans le monde du travail. Et Fabienne Lacroix de rappeler que ces spécificités cognitives ont été diagnostiquées par des examens médicaux d’objectivation (des IRM révélant des comportements différents dans les zones du cerveau sollicitées pour répondre à telle ou telle injonction²). On n’est donc pas ici face à des caprices d’enfants, gâtés ou non, qu’il y aurait plutôt lieu de faire rentrer dans le rang !
Aider à manager sa différence, c’est à ça que l’on doit travailler car, à l’école, on attend des enfants qu’ils fassent preuve de pensée convergente ! Fabienne Lacroix conseille ainsi les jeunes dont elle s’occupe : « Devenez bilingues. Réfléchissez selon votre propre fonctionnement et puis traduisez cela dans le comportement qui est attendu par le cadre organisationnel dans lequel il vous faut trouver votre place et vous épanouir ». Fabienne Lacroix affirme avec force que cette différence est une richesse. Encore faut-il pouvoir l’utiliser, lui donner l’occasion de s’exprimer ! Mais pour ce faire, Fabienne Lacroix n’est pas favorable au regroupement dans un enseignement spécialisé. Elle est convaincue que ce n’est pas la solution. D’un côté, c’est à l’enfant à apprendre à adapter son comportement accompagné par des adultes bienveillants et, de l’autre, on doit encourager et former les enseignants pour que le système, qui a sa logique collective, donne malgré tout à ces enfants atypiques des défis plus personnels qui les mettent en projet et les gardent motivés. Et puis, il y a des compléments importants hors du cadre scolaire. Tout ne se joue pas en classe.
C’est pourtant bien sûr, un enjeu important car, on le sait, pour un jeune, reprendre le volant de sa scolarité, c’est reprendre le volant de sa vie sociale et globale. Permettre cette autonomie chez le jeune va l’aider dans ses relations familiales, sociales et jusque dans le monde du travail quand il y accédera. C’est un vrai plan d’intégration global. « S’occuper de ces enfants à l’intelligence atypique, cela n’a rien à voir avec de l’élitisme que certains évoquent quand ils croient que l’on cherche à pousser en avant des petits génies ! » conclut notre praticienne.
Un besoin de modèles et de personnes ressources
Depuis un certain temps déjà, l’école a fort heureusement mis en place le PIA, plan individuel d’apprentissage, qui organise, comme son nom l’indique, une progression spécifique à chaque apprenant, quel que soit son comportement cognitif. « Dys » ou pas. Face à des enfants atypiques, il n’est pas demandé aux enseignants d’avoir une capacité de diagnostic, mais bien d’avoir une capacité d’ouverture qui permette d’identifier chez certains la nécessité d’avoir d’autres outils pédagogiques à leur disposition et de déceler qu’avec tel enfant, il serait bon que des professionnels interviennent en appui.
Si le maintien dans le groupe d’âge correspondant est tout-à-fait indiqué en ce qui concerne la vie scolaire, Fabienne Lacroix confirme que le fait de côtoyer ses pairs atypiques -souvent des plus âgés- et des personnes ressources, véritables accoucheurs de questionnements, est particulière salutaire. La raison de cette nécessaire diversité de relations réside bien dans le décalage existant souvent entre la maturité intellectuelle et la maturité affective. Cette différence affichée par les atypiques, ce n’est que rarement un vrai problème de compétences cognitives, mais bien plutôt une différence de fonctionnement neuronal. « Ces jeunes atypiques utilisent un prisme d’entrée sur le réel qui est différent. Si on leur donne la capacité de saisir le caractère original de leur regard sur le monde, chacun dans le domaine où ils seront actifs, ils pourront chacun être vraiment innovants. Pourvu qu’ils rencontrent des adultes qui puissent leur donner la confiance en eux, la bonne estime de soi pour traverser le système scolaire qui n’est après tout qu’un passage obligé, pour qu’ils prennent ensuite leur envol dans la vie ». Décrivant ces esprits novateurs, certains neurologues n’hésitent pas à appeler ces personnalités, des « sentinelles de notre société ».
Mieux former les professionnels de l’éducation
Les sciences neurologiques ont encore beaucoup à nous apprendre. Une meilleure connaissance serait bienvenue, notamment dans le chef des accompagnants scolaires, directions, enseignants, éducateurs, agents CPMS et conseillers en orientation. Une meilleure implantation de moyens dédiés spécifiquement aux personnalités atypiques aussi. Dans certains milieux, on n’en est pas encore à l’abc de toutes ces questions. Dans certains milieux, on n’en est pas encore à l’abc de toutes ces questions.
Actuellement, les cursus de formation qu’entreprennent certains enseignants se font encore sur base volontaire ! Or simplement se former pour reconnaître la présence d’un enfant atypique dans sa classe serait un bon début. Ne pas passer à côté. Comprendre pourquoi avec lui, avec elle, cela se passe autrement qu’avec la plupart. Sans cela, pas le moindre premier pas d’inclusion et, inévitablement, beaucoup de désordre à devoir assumer au sein de sa classe.
Car, un enfant atypique épanoui, c’est aussi toute la classe qui en est bénéficiaire, de la même manière qu’à travers un citoyen atypique épanoui dans le monde du travail, c’est une société enrichie et qui va mieux. Même financièrement, pourrait-on dire un peu trivialement, cela coûte moins cher à la société si l’accompagnement préventif se met en place dès l’âge scolaire, plutôt que de devoir recourir ultérieurement à de l’accompagnement thérapeutique curatif durant des années pour cause de burnout et tutti quanti. Qu’on se le dise³.
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2Les dénommés HP complexes par exemple, (dits aussi philo-cognitifs, ceux qui sont souvent en échec dans nos systèmes scolaires et peuvent présenter de grosses difficultés d’ordre émotionnel au point de laisser croire qu’ils sont déficients alors qu’ils développent parfois des questionnements terriblement existentiels), utilisent des zones complètement différentes de leur cerveau, alors que les HP dits laminaires (ceux qui ne demandent qu’une chose : apprendre), utilisent les mêmes zones que la plupart des apprenants à l’intelligence classiques, mais avec un rayonnement objectivé bien plus large que la norme. Il en ressort donc qu’une même information (une consigne de travail ou un énoncé de problème, par exemple, n’est pas traité de la même manière entre ces trois groupes : HP complexes, laminaires et normo-pensants). D’où le côté visionnaire, et en tout cas très créatif, que certaines de ces intelligences peuvent manifester. Une vraie richesse pour notre société… et une catastrophe, en somme, si l’on estime simplement que la solution comportementale est de « faire rentrer dans le rang » ces enfants atypiques.
3Propos de Fabienne Lacroix recueillis et mis en forme par Michel Berhin
Dossier Couples et Familles, n°138, « Mon enfant est différent. », 4ème trimestre 2021.
Ecoutez l’émission consacrée au thème « Mon enfant est différent »